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Témoignage client

1633, pierre qui roule amasse parfois mousse

Ce récit retrace la manière dont un groupe de presse a su préserver sa pépite, le magazine de rock Rolling Stone, malgré les bouleversements du secteur de la presse écrite.
Au faîte de sa gloire, le groupe de presse 1633 couvrait l’ensemble du segment dit masculin : le “charme” avec le magazine Playboy, la mode avec FHM, le rock avec Rolling Stone, les émotions fortes avec Newlook, le bien-être avec Men’s Health, etc. Mais au début de son histoire, en 1992, se trouve une femme. “Une chanteuse américaine d’origine italienne appelée Madonna”, précise le fondateur du groupe, Michel Birnbaum, en souriant avec malice.

Pictogramme du nom de l'auteur

Michel Birnbaum

Fondateur et gérant du groupe 1633

Lui est alors un médecin spécialisé en cancérologie et en radiothérapie rompu aux 24 heures sur 24, sept jours sur sept. “Tous mes associés médecins avaient un hobby pour pouvoir tenir le coup”, raconte-t-il. “Moi c’était les voitures anciennes et je publiais un magazine qui leur était consacré, avec un ami.” Un jour, les deux amis ont l’opportunité de rencontrer une représentante de l’éditeur américain Warner Books, qui écume Paris à la recherche de l’éditeur de la version française du recueil de photos érotiques de la star de la pop, sobrement intitulé SEX. 


Ils sortent d’un déjeuner “un peu trop arrosé”, et la représentante de Warner Books, “tailleur Dior et attaché-case contenant le livre menotté au bras”, leur fait signer un contrat de cinq pages en anglais à travers une brume d’hilarité. Et à rebours du bon sens selon les “quatorze éditeurs” que rencontre ensuite Michel Birnbaum. “Car à l’époque, Madonna est complètement has been, elle n’est pas foutue de décrocher un rôle ou d’écrire un album. C’est justement pour rembourser une énorme avance de la Warner Records qu’elle fait ce livre, dont personne ne voulait.” 


Seulement voilà : “SEX profite d’une vacance de l’actualité et fait la une après le vol de photos exclusives au laboratoire. Le jour de son lancement à la Fnac, le livre est épuisé au bout d’une heure.” L’argent qu’il rapporte à sa toute jeune maison d’édition lui donne à réfléchir : “J’étais papa d’un petit garçon et je voyais la vie de famille de mes associés partir en vrille. Il était temps que je fasse un métier qui, outre le fait qu’il correspondait à une passion d’adolescence, la photo, me permettait justement d’accorder à ma famille plus de temps.” Il abandonne la médecine, ses horaires, ses responsabilités ; et se lance dans l’édition de beaux livres. 


“On ne pouvait pas rivaliser”


Puis, tout va très vite. Michel Birnbaum rencontre Daniel Filipacchi, qui lui raconte que Hachette se sépare de ses magazines “masculins”. Il s’associe à Frédéric Doncieux pour les reprendre. “On a gagné beaucoup d’argent et continué à racheter des titres de magazines, notamment américains, et parfois sans beaucoup de discernement, l’objectif étant de développer le groupe de presse pour lui donner une vraie visibilité. A un moment, j’étais complètement dépassé par la situation. Par exemple, une fois, j’ouvre un magazine hautement pornographique dans une station-service, et je découvre que c’est moi le directeur de publication !”


Au volant de sa Porsche rouge, Michel Birnbaum ne se pose pourtant pas de questions et continue d’avancer. Il emploie 50 salariés et crée avec ses interlocuteurs américains des relations de confiance. Le renouvellement des contrats de licence s’opère régulièrement sans accroc. Jusqu’au premier coup de frein : “Hachette-Filipacchi Médias et Prisma ont décidé chacun de créer un nouveau magazine masculin. Et là où nous investissions 200 000 euros, eux ils investissaient trois millions. Nous ne pouvions pas rivaliser.” 


Du moins pas sur un support papier : “Un jour, un type vient me voir avec un disque rectangulaire permettant de ne pas laisser de traces sur Internet. Nous avons sympathisé et il m’a emmené chez Bouygues, premier opérateur mobile avec data, pour lui vendre la technologie en plus des images érotiques.” Des produits bienvenus pour combler la baisse des revenus provenant de la publicité sur les magazines historiques de 1633. 


Il n’y a pas de second coup de frein, mais une lente décélération due à la désaffection de la presse écrite : “L'avènement de la gratuité numérique a achevé de bouleverser notre modèle économique, on avait de plus en plus de mal à obtenir les budgets des marques qui jusque-là nous étaient fidèles. On a dû déposer le bilan en décembre 2014. Le commissaire aux comptes m’a alors conseillé d’aller voir une femme à la fois avocate et administratrice judiciaire.”  


C’était Isabelle Didier, aujourd’hui associée fondatrice de O3 Partners. “Elle a fait avec moi ce que je faisais avec mes patients en cancérologie. Elle m’a remonté le moral et elle m’a convaincu de me battre. Je ne le savais pas à l’époque, mais son empathie et sa sagesse viennent sans doute du fait qu’elle a elle-même été confrontée à la nécessité de recourir à une procédure collective pour restructurer son étude.”


“Bien sûr, le fait d’avoir fait ce choix et d’avoir traversé les difficultés qui naissent de ce type de situation rend beaucoup plus humble”, reconnaît Isabelle Didier de son côté. “Pour autant, avant même d’être contrainte de restructurer mon cabinet, je n’ai jamais estimé que mon rôle était de juger. Je suis là pour accompagner. Et je me suis toujours sentie plus proche des entrepreneurs qui doivent composer avec les aléas économiques que des castes et des monopoles. En l'occurrence, le nouveau paradigme numérique a fait s’effondrer le budget publicitaire du groupe 1633 de manière irréversible, rendant impossible un plan de redressement et d’apurement du passif.”


“La procédure est la meilleure chose qui me soit arrivée”


Ensemble, avec l’écoute du juge-commissaire et du mandataire judiciaire, Isabelle Didier et Michel Birnbaum doivent se battre pour que les contrats de licence de droit américain puissent être préservés, le droit américain permettant la résiliation de ces contrats. Les salariés de 1633, réunis en collectif, se portent alors acquéreurs de certains titres, avec l'appui amical de Michel Birnbaum. Le tribunal de commerce leur en accorde le droit après qu’ils aient obtenu l’aide financière d’un actionnaire extérieur et majoritaire. Mais dès la troisième année, ils réalisent qu’il faut trouver de nouveaux axes de développement. Pour finalement arrêter à la quatrième année. 


“Les anciens salariés se sont battus courageusement pour préserver leur outil de travail”, analyse Isabelle Didier avec le recul. “Mais vous avez beau chercher des nouveaux revenus et réduire vos charges, vous n’allez jamais aussi vite que la fonte des budgets de publicité qui se sont détournés de la presse écrite, en ne conservant que certains supports très visibles et en écartant ceux plus marginaux, comme les titres de 1633. Les anciens salariés ont été pris dans le cercle vicieux de l’endettement. C’est évidemment très décevant pour ces salariés devenus entrepreneurs mais ils n’ont rien à se reprocher.”


Seul Rolling Stone, repris par l’ancienne directrice numérique, Alma Rota, perdure. “Ce magazine bénéficie d’un lectorat extrêmement fidèle, qui s’apparente presque à un club, et il a pu mieux se reconvertir”, explique Isabelle Didier. “Mais est-ce que ce lectorat va se renouveler et rajeunir ? C’est tout l’enjeu des prochaines années pour le titre.” L’administratrice judiciaire s'estime enrichie par ce dossier du point de vue humain, “même si [leurs] efforts communs n’ont pas réussi à préserver autre chose que cette pépite.” 


Pour elle, “la personnalité magnétique, la très grande culture et l’histoire familiale romanesque de Michel Birnbaum, qui descend de membres fondateurs des partis communistes tchèque et roumain, ont également beaucoup compté dans la capacité à convaincre les éditeurs de préserver la licence de Rolling Stone au bénéfice d’Alma Rota . Elle est l’héritière de son aventure éditoriale et elle a réussi la conversion numérique.”


Michel Birnbaum continue de conseiller la jeune femme mais garde le temps de profiter de sa famille, qui s’est récemment agrandie avec un filleul, Augustin, 5 ans et demi. “Le fils d’une vieille amie, qui avait besoin d’une figure paternelle : je suis comme un père de substitution qu’il n’a pas et il est le petit fils que je n’ai pas”, explique-t-il avant d'ajouter : “Finalement, la procédure de redressement judiciaire est la meilleure chose qui me soit arrivée. Je suis arrivé à un âge où rien ne vaut plus que le temps.”



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