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Témoignage client

Max Milo, dix ans plus tard, retour sur un sauvetage réussi grâce à un plan de redressement et des succès d'édition

Dirigeant d'un groupe d'édition confronté aux difficultés, c'est avec inquiétude qu'il a recourt à la procédure collective. Dix ans plus tard, il fait le constat de l'utilité du redressement judiciaire.

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Jean-Charles Gérard

Fondateur des éditions Max Milo

“Comme beaucoup, je suis arrivé à l’édition par l’écriture. J’étais journaliste pour le magazine Science et vie et j’essayais en vain de faire éditer mes livres, essais et fictions. Alors j’ai fondé, en mars 2000, ma propre maison Max Milo avec mon père Daniel Gérard, ma mère Danielle Gérard, mes amis Gérald Messadié, Yves Roucaute, Tristan Mocilnikar, et Christophe Guinel, mon principal associé et partenaire depuis 23 ans. Notre credo : provoquer à juste titre, c’est-à-dire proposer une vision du monde en décalage avec la pensée unique.


Dans un premier temps, on fait tout nous-même : édition, diffusion, distribution... Sur l’idée de mon père, on visite cinq cents libraires en France et Belgique, deux fois par an. On se partage la France. On prend le train et on visite toutes les villes qui ont une gare SNCF. Par exemple, pour le Paris-Menton, on s’arrête à Lyon, Valence, Avignon, Aix-en-Provence, Marseille, Toulon, Cannes, Antibes, Nice, Monaco, Menton… A raison de cinq librairies par jour.


A Paris, on livre les exemplaires aux coursiers porte d’Ivry ou porte de Bercy au petit matin, entre six et huit heures. Les transporteurs nous retournent les invendus par palettes entières qui arrivent dans la maison familiale. Mais on est récompensés par deux beaux premiers succès, Force Ennemie de John-Antoine Nau et Traité des trois imposteurs : Moïse, Jésus, Mahomet, qui vont nous permettre de signer notre premier contrat de diffusion-distribution avec VILO en octobre 2003.


Malheureusement, VILO dépose son bilan deux mois plus tard. Et en dépit des propos de l’administrateur judiciaire qui essaye de rassurer une centaine d’éditeurs lors d’une réunion épique en février 2004, je perds 300 000 euros dans l’affaire. On a la chance de vendre beaucoup d’exemplaires à cette période, grâce à notre premier best-seller en librairie, Je suis noir et je n’aime pas le manioc de Gaston Kelman, et donc de pouvoir payer les auteurs, les salariés, les fournisseurs et les partenaires sociaux, mais beaucoup d’éditeurs vont être obligés de déposer leur bilan dans les mois qui suivent.


Les joies du tribunal


Je découvre alors les joies du tribunal de commerce pour la première fois de ma vie. Je suis en contact avec des créanciers, des mandataires, des juges, des administrateurs… et des entrepreneurs qui ont voué leur vie à leur entreprise, dont la valeur n’est pas seulement économique mais également affective, et qui vont tout perdre dans le cadre d’une liquidation ou d’un plan de cession. Mais je fais surtout la rencontre d'un grand avocat, Baudouin Gogny-Goubert, qui deviendra un ami très cher. On rachètera ensemble pendant vingt ans de nombreuses maisons d’édition.


La première est Paris Méditerranée. En 2007, on fonde Mâche Milo, une maison édition jeunesse avec Jeannine de Cardaillac, ancienne rédactrice en chef de Science et Vie Junior. En 2009, Yves Michalon m’appelle pour reprendre les éditions Michalon qui se trouvent en très grande difficulté. En 2012, je reprends la maison d’éditions d’un ami, les éditions L’Entretemps, spécialisées dans les livres de référence sur le spectacle vivant.


Fort du succès de ces différentes opérations éditoriales et commerciales, je rencontre des fonds d’investissements pour leur présenter notre projet de regroupement d’une vingtaine de petites maisons d’édition indépendantes. L’idée est de fédérer des projets sur des secteurs éditoriaux différents et non-concurrentiels, de faire rentrer au capital les fondateurs des différentes maisons d’éditions et de créer une synergie au niveau administratif, de la fabrication, de la presse, et de former un groupe beaucoup plus stable et robuste.


Ce projet intéresse fortement le fond PERFECTIS, qui en analysant le marché s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup de maison d’éditions indépendantes (plus de 3000 en France dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million d’euros) et quelques groupes de plus de 100 millions d’euros. Mais peu d’éditeurs indépendants dont le chiffre d’affaires est compris entre 5 et 50 millions. L’idée du fonds d’investissement est donc de nous aider à acheter des maisons d’édition, de former un groupe de 10 à 20 millions d’euros et de sortir au bout de cinq ans. Je reste l’actionnaire majoritaire, mais chaque éditeur est également actionnaire du projet et garde une totale autonomie sur sa marque.


PERFECTIS m’accompagne ainsi pendant un an pour structurer le projet. On se met d’accord pour racheter une quinzaine d’autres maisons d’éditions avec un budget de quatre millions d’euros. A charge pour nous de trouver les maisons d’éditions, de convaincre les éditeurs et de structurer l’ensemble. Je suis à ce moment à la tête de six entreprises (Max Milo, Paris-Méditerranée, Michalon, Mâche Milo, Max Milo Production, L’Entretemps) employant une trentaine de salariés. Quatre banques, dont la Neuflize-OBC, une banque d’affaires, m’accordent prêts bancaires, découverts et garanties sur retours depuis douze ans.


Je fais cependant l’erreur d’aller trop vite en besogne : encouragé par l'un des fondateurs du fonds, je vais prospecter et avoir l’opportunité de racheter une maison d’édition avant d’avoir les quatre millions d’euros. Florent Massot, endettée de 800.000 euros, était au bord du dépôt de bilan, et le groupe Hachette, qui voulait dans les plus brefs délais se retirer du projet après avoir investi plus d’un million d’euros, me cédait la maison d’édition pour un euro symbolique.


Mais le fonds d’investissement, essuyant deux gros dépôts de bilan dans ses investissements et se trouvant dans l’incapacité de lever une nouvelle enveloppe de 200.000 millions d’euros auprès de ses investisseurs, décide de se retirer du projet et de garder les 4 millions d’euros pour se restructurer et licencier ses salariés.


L’autre côté de la force


Nous sommes en mai 2012 et j’entame alors une nouvelle phase de ma vie d’entrepreneur, tout aussi passionnante mais particulièrement douloureuse à vivre. Après la montée pendant huit ans, la descente… Si je suis à la tête de sept entreprises différentes (SARL et SAS), pour les banques il n’y a qu’un seul patron, qu’un seul actionnaire majoritaire. Et quand elles apprennent que je suis obligé de déposer le bilan sur une des maisons d’édition, elles me retirent mes découverts bancaires et me suppriment mes garanties sur retours sur l’ensemble des entreprises. Alors qu’il aurait été plus rationnel de gérer cet accident industriel sans mettre en difficulté les autres entreprises, je me retrouve en grande difficulté sur l’ensemble des entreprises en juillet 2012.


Je fais alors la connaissance d’Isabelle Didier, aujourd’hui associée fondatrice de O3 Partners, qui devient l’administratrice judiciaire de la société Florent Massot. C’est elle qui me permet d’anticiper l’effet domino sur mes autres maisons d’édition. Florent Massot ne résiste pas à la période de redressement. Fragile et endettée en entrant en procédure, elle ne dispose pas des fondamentaux pour présenter un plan. Elle est liquidée en décembre 2012.


En juillet 2012, je cède mes parts à mon associé, Jeannine de Cardaillac, dans la société Mâche Milo. En septembre 2012, mon avocat et moi arrivons à vendre au forceps les éditions Michalon à L’Harmattan. Et en janvier 2013, je suis contraint de solliciter une procédure de sauvegarde pour ma société amirale, Max Milo, mon bébé, ce qui me procure un terrible sentiment d’échec et une grande tristesse. Heureusement, le déroulement de la première procédure m’a montré les grandes qualités d’écoute et de réactivité d’Isabelle Didier, qui est désignée dans cette nouvelle procédure.


Elle comprend mon environnement et a déjà beaucoup échangé avec les distributeurs dans le cadre d’autres dossiers. La période d’observation se déroule de façon apaisée et en confiance. Elle me suggère de fédérer mes auteurs autour d’un projet commun de reconstruction de la maison d’édition. Je propose à une dizaine d’auteurs de devenir actionnaire d’une holding qui a des participations dans les maisons d’éditions. Cela me permet de retrouver de la trésorerie avant le dépôt de bilan.


J'ai également la chance de connaître un nouveau gros succès en librairie avec La Démesure de Céline Raphaël. Les 80.000 exemplaires vendus me permettent de sortir tranquillement du redressement judiciaire et d’être de nouveau entièrement maître de mon destin. Bien que la période de cogestion avec l’administratrice judiciaire ait été à bien des égards très positive, c’est un soulagement.


Le facteur chance


La moralité de mon histoire n’est évidemment pas de compter sur la chance pour envisager l’avenir. Mais dans mon cas, ce facteur a été inouï. Au total, j’ai tiré cinq enseignements de cette aventure judiciaire.


Le premier est qu’il faut anticiper au maximum les coûts psychologiques et économiques d’une telle expérience, pour mieux se préserver. Car pendant cette période, vous risquez de tout perdre : vos entreprises, vos amis, votre famille. J’ai eu la chance de garder ma première maison d’édition, d’en préserver deux autres, de garder mes amis les plus proches et d’être toujours avec ma femme, qui a été exemplaire pendant toute cette période.


Le deuxième : il faut rester concentré sur son cœur de métier, éviter les parasitages et les tâches secondaires. Dans mon cas, c’est de réaliser des livres les plus intéressants sur ma ligne éditoriale et de les vendre. J’ai eu la chance de réaliser un best-seller en début de redressement judiciaire.


Le troisième : il faut reconstituer de la trésorerie avant d’aller en redressement judiciaire. Le cœur de la guerre pour sortir du tribunal, c’est la trésorerie.


Le quatrième : il ne faut pas craindre d’être déçu par les réactions de son entourage professionnel et familiale. C’est une période très dure, où les bouffées de suicide ne sont pas loin. Or c’est systémique. Il ne faut pas le prendre personnellement. En ayant une attitude positive, on accroît les chances de réactions favorables. Avoir déposé le bilan, ne fait pas de soi un malade contagieux dont il faudrait s’éloigner.


Et le dernier, sans doute le plus important, est qu’il faut savoir s’écouter et se protéger, ne surtout pas rester seul. Je pense sincèrement que les efforts de mon avocat, de l’administratrice judiciaire m’ont permis de trouver des solutions et de se battre pour s’en sortir. Il faut tenir car l’espoir est toujours possible.


Avec mon avocat, nous avons repris une nouvelle maison d’édition, les éditions ACR, en février 2021. L’aventure continue…



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